«Tu m’emmènes sur ton vélo ? »... Déjà enfant, j’ai le goût de la découverte de l’ailleurs. Ils et Elles traversent le monde à vélo, à pied, à cheval, en stop, Ils sont tatoués, ont de grandes barbes, Elles ont des ongles noirs ; leurs mains usées, leurs yeux racontent le monde, les rencontres, le savoir, leurs sourires sont dorés. L’espagnol se mélange au quechua, le quechua à l’anglais, l’anglais à l’allemand, l’allemand au français.
Les week-ends nous partons à Quispicanchis, dans la vallée sacrée, dans la maison de mes arrière- grands-parents, une très vieille maison en adobe, sans électricité ni eau courante ; nous avons des lanternes au fioul, je joue avec les Indiens. Avec mon frère Mario et mes cousins nous aidons les Indiennes à déterrer les pommes de terre dans les champs – un de mes plus forts souvenirs ; mon terrain de jeu, c’est la cordillère des Andes. Seule obligation, il faut rentrer pour déjeuner, quand le soleil est bien haut. Ma grand-mère et mes tantes égorgent le cochon, ébouillantent le cochon, enlèvent les
poils du cochon, vident ses boyaux, préparent du boudin ; à midi on mange du cuy (prononcer « couilles » !), ce sont les cochons d’Inde andins.
Ma famille est profondément croyante, chacun pratique à sa manière, mais la vie est tout de même rythmée par la messe, les « Padre nuestro que estas en los cielos... », les « Santa Maria, llena eres de gracia... », les fêtes religieuses catholiques tintées des couleurs de l’animisme andin et par les offrandes à la Pachamama, à la Mamacha Carmen, les chamans, les guérisseurs et les Apus (les divinités de la montagne pour les peuples andins). Tous sont baptisés et confirmés ; pour moi, c’est différent, ils essaient par trois fois de me faire baptiser, mais rien à faire, à chaque fois, il se passe quelque chose. Ils jettent l’éponge, je suis apparemment vouée à autre chose.
À l’âge de six ans, avec mon grand frère et mon père, nous quittons la France, la ferme de mes grands- parents et notre tour numéro 17 ; je pars grandir au Pérou. Je partage désormais ma vie entre le lycée français, la haute société de Lima, les ambassades et les Andes, la jungle et les bidonvilles où travaillent les artisans de mon père. Pour couronner cet incroyable début d’histoire, notre arrivée au Pérou coïncide avec le début d’une guerre armée contre le Sentier lumineux et le Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru.